J’étais à l’époque élève à l’école de garçon de mon village  natal dans les Vosges. En CE2 je crois. En cours d’année, une fin d'après-midi, le directeur de l’école,  monsieur Gehan, qui portait bien son nom, a frappé à la porte de notre classe  et est entré immédiatement, interrompant le cours de mademoiselle Lainé, toute  surprise de cette visite impromptue.
  Le directeur un grand homme mince, les cheveux blancs coupés  en brosse était accompagné d’un jeune garçon qui m’a semblé grand lui-même. En tout  cas plus grand que Tintin, le plus grand de la classe.
  « Voici Martin Qwanturank » a claironné le  directeur de sa voix claire et sans réplique. « Il arrive de l’étranger et  je compte sur vous pour lui faire bon accueil » dit-il en nous présentant  le grand escogriffe qui m’a paru tout de suite avoir l’air plus l’intelligent  que ce grand con de Tintin.
  Qwanturank, quel drôle de nom pensais-je immédiatement. Il  faut dire que dans l’école on comptait quelques Parmentier, Daval, Minod,  Poirot et certains patronymes à consonance germanique. Mais étrangement, pas de  Martin, même si c’est le patronyme le plus répandu dans notre pays d’après  mademoiselle Lainé qui, elle-même, se prénomme Martine.
  Qwanturank nous gratifia d’un « bonjour » dont je  ne reconnu pas l’accent. Il faut dire, qu’il ne passait pas beaucoup d’étrangers  dans notre vallée perdue.
  Mademoiselle Lainé désigna une place à Qwanturank, près du petit Daval, au premier rang. Le grand échalas eut bien du mal à plier ces grandes  jambes sous le pupitre qui me sembla minuscule. Je remarquai à ce moment là que Martin Qwanturank  était arrivé à l’école les mains dans les poches et sans cartable ni cahiers, ni  crayons.
  Madame Lainé repris son cours comme si de rien n’était, bien que la majorité d’entre nous se demandait bien qui pouvait être ce Martin  Qwanturank.