Le dimanche soir mon père me ramena chez mes grand parents, car lui et ma mère travaillaient tous les deux à l’équipe du matin le lundi. Ils partaient donc travailler dés 4 heures 30.
J’arrivai donc pour le repas du soir qui se passait dans la cuisine. Nous étions quatre à table, ma grand-mère, mon grand-père, un de mes oncles âgé d’environ 13 ans et moi-même.
La télévision était allumée, sur sa petite table à roulette qui permettait de la déplacer jusqu’à la porte de la salle à manger, pièce dans laquelle elle stationnait le reste du temps. Elle y passait d’ailleurs beaucoup de temps car à l’époque les émissions étaient cantonnées à des périodes très limitées de quelques heures par jour.
Justement à cette heure, le présentateur du journal télévisé du soir, nous parlait des dernières décisions politiques américaines au sujet de la guerre du Viêt-Nam, sur un fond d’images montrant des bombardier B-52 déversant des tonnes de bombes en pluie vers un adversaire invisible mais qui devait certainement se trouver sous le point de chute de ces chapelets de bombes.
Nous avons mangé en silence devant ce spectacle surréaliste. N’importe laquelle de l’une de ces bombes était capable de faire exploser un pâté de maison entier, et chaque avion semblait en lâcher vingt-cinq ou trente.
Ma grand-mère finit par couper la télévision et nous terminâmes notre repas sans dire un mot. En se levant à la fin du repas, mon grand-père me fit un petit signe pour me demander de le suivre dans son bureau, ce que je fis bien sûr, avec grand plaisir.
Arrivé dans le bureau, il s’assit en saisissant le brevet de pilote de Qwanturank, en me disant : J’ai trouvé ce brevet près des décombres d’un avion français qui avait été abattu près de Drachenbronn en Alsace. J’étais alors brancardier à l’ouvrage du Hochwald qui était un des ouvrages les plus important de la ligne Maginot.
C’était, je crois vers le 9 ou 10 juin 1940. En tout cas avant que les troupes d’intervalle n’aient eu l’ordre de battre en retraite et de nous abandonner dans nos ouvrages.
Mais tu étais soldat dans la ligne Maginot ? Ai-je alors demandé à mon grand-père.
- Soldat, si tu veux, mais plutôt brancardier car j’ai toujours refusé de porter les armes. La guerre est une chose stupide mais je n’allais quand même pas déserter !
Ce 9 ou 10 juin donc, j’étais de garde à l’infirmerie de l’ouvrage, soit à une trentaine de mètre sous le niveau du sol, quand j’ai reçu l’ordre, avec deux camarades de me rendre rapidement en ambulance près d’un village situé au nord-est, pour récupérer un aviateur qui venait d’être abattu par des chasseurs allemands. Sortir au grand air nous faisait plutôt plaisir, car ce n’était pas marrant de rester enfermer tout le temps entre ces murs de bétons.
Arrivé près du village en question, par cette belle journée ensoleillée nous avons aperçus d’abord une colonne de fumée qui montait au milieu des champs puis un grand type en combinaison de vol, portant dans ses bras son parachute roulé en boule qui avançait vers nous.
- Qwanturank dis-je
- Qwanturank, oui, en tout cas c’est comme ça qu’il s’est présenté. Adjudant-chef Qwanturank, mon observateur et mon mitrailleur ont sauté avant moi, ils ont du tomber plus à l’est. C’est bien l’est par là bas nous demanda-t-il en nous montrant la direction. Nous lui répondîmes que oui, et que là bas il existait un autre ouvrage de la ligne Maginot qui avait peut-être recueilli les membres de son équipage.
- Il t’a raconté son combat demandais-je à mon grand-père, c’est là qu’il t’a donné son brevet ?
- Non pas du tout, il ne semblait pas blessé, mais le sergent qui commandait l’ambulance tenait absolument à le ramener rapidement, à l’infirmerie. Comme Qwanturank émit l’envie de connaître l’état de son avion, il nous ordonna à moi et à l’autre brancardier d’aller y jeter un œil et de prendre quelques photos, car il savait que j’étais photographe. Il ajouta que nous pourrions ensuite rentrer à pied à l’ouvrage.
Je dois bien avouer que l’idée était plutôt agréable et que je vis avec plaisir l’ambulance s’éloigner.
- Mais la guerre ? Demandais-je alors à mon grand-père
- La guerre, elle ne semblait pas être là, à part la fumée qui montait en grosses volutes noires à quelques centaines de mètres. Aucun bruit de moteur depuis que l’ambulance était partie. D’ailleurs la guerre, pour ce qu’on en savait elle était dans le nord, mais pas ici.
Nous prîmes donc la direction de la fumée et c’est à quelques dizaines de mètre, dans l’herbe que j’ai trouvé ce brevet de Martin Qwanturank.
- Tu ne lui as pas rendu ?
- Je n’ai jamais revu Martin Qwanturank. Je n’ai jamais revu ce pilote. Quand je suis rentré à l’ouvrage en fin d’après midi, il avait déjà été évacué vers le sud, lui évitant certainement la même captivité qu’à nous, l’équipage du Hochwald, mais ça je te le raconterai une autre fois.
Quand je me couchai, je retournai tout cela dans ma tête : mon grand-père n’avait pas été soldat mais brancardier, il avait trouvé le brevet de Qwanturank dans l’herbe. Adjudant-chef Qwanturank, observateur, mitrailleur… il n’était donc pas pilote de chasse.
Heureusement, que demain, j’allais retrouver Martin Qwanturank, dans la classe de Madame Lainé.